Article paru originellement le 3 juillet 2014, faisant parti d’une série d’articles sur les oppressions quotidiennes du point de vue d’un loisir ou d’un hobby. Il a subit quelques modifications (surtout des références qui se sont perdues dans le temps) mais je suis toujours globalement d’accord avec ce qui a été écrit à l’époque.
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J’ai déjà évoqué les raisons qui me font aimer le tricot : pouvoir fabriquer mes propres vêtements, à mon goût, sans dépendre de l’industrie de la mode, flatte mon côté anticapitaliste. Mais c’est également une activité relaxante, qui permet de prendre le temps de se laisser vivre, et de rêvasser au doux son du « tic tic tic » des aiguilles qui s’entrechoquent… Bref, c’est vachement cool.
Cependant… Lorsqu’on fait au mieux pour vivre dans une logique vegan / développement durable, on est parfois un peu perdu. Déjà, la laine, ça vient du mouton, non ? Alors comment peut-on tricoter et être vegan ? Et si on n’est pas forcément vegan, mais qu’on veut un produit éthiquement défendable ? Ces questions sont bien plus complexes qu’il n’y parait. Chacun·e a ses propres limites morales, il n’y a pas une seule façon de vivre « en accord avec la nature ». Vegan (donc non-issu des animaux) ne signifie pas ecofriendly (bon pour la planète), mais ceux deux notions peuvent s’entrelacer. Alors, par où commencer ?
Listons tout d’abord les principales catégories de fibres : animales, végétales, synthétiques. Déjà, on peut voir que le mouton n’est pas le seul fournisseur de « laine » au monde. Et pour chaque « catégorie », certaines fibres sont plus problématiques que d’autres. Essayons de dresser quelques « profils » de trioteur·euse·s, pour tenter de s’y retrouver !
– « Je veux tricoter toutes les fibres, TOUTES, et constituer un fibredex ! » <- Là, c’est facile : lorsqu’on s’autorise à tricoter n’importe quoi, le monde entier s’offre à nous. Cependant, il faut bien savoir que certaines fibres sont particulièrement non-éthiques (à mon sens) : lorsque la récolte de la fibre implique la mort de l’animal qui la donne, cela me semble être une limite minimum et très raisonnable, cf le possum ou le vison. Oui, il existe de la « laine » faite à partir de ces animaux, comme on peut le voir ici ou là. La laine de vison n’a d’autre argument marketing que son côté « luxe », mais la laine de possum est défendue comme étant issue du massacre « nécessaire » des possums (qui tuent les kiwis.). Je peux concevoir le désastre écologique qui fait suite à l’introduction d’une espèce dans un nouvel environnement, mais, malgré tout, voir cette laine défendue comme étant presque écologique et bonne pour la planète me laisse un sale goût dans la bouche… Mais passons, je n’ai pas à tenter d’imposer mon éthique aux autres. Il me semble simplement important de savoir que certaines fibres sont plus « défendables » que d’autres. D’autre part, n’oublions pas la soie, qui est le plus souvent obtenue en tuant les chenilles du bombyx pour récupérer le cocon (il existe cependant des soies récoltées après l’éclosion de la chenille, inutile de dire que si je tricotais de la soie, elle aurait ma préférence !). Les insectes ne méritent pas moins de vivre que les autres. Pour finir, au nombre des nouvelles matières, on trouve des laines fabriquées à partir de lait (oui, du lait de vache). Là encore, c’est moralement discutable, dans la mesure où l’industrie du lait est indissociable de celle de la viande, et qu’il faut une quantité invraisemblable de lait pour faire une pelote de laine (sans parler du reste de la comopsition). Mais à part ces quelques exemples, si notre conscience ne nous rappelle pas à l’ordre, tout est possible.
– « Je veux tricoter des fibres animales mais sans faire -directement- du mal aux animaux ! » <- Là aussi, c’est assez simple. La plupart des fibres animales tricotées sont prises sur des animaux qui, une fois tondus, vont simplement refaire leur pelage. On ne blesse pas « directement » les animaux pour la fabrication de laine. Cependant, on va faire beaucoup de mal à certains pour l’obtenir. Dans le cas du mouton, la majeure partie de la laine est récoltée en Australie et en Chine, des endroits où la protection animale est particulièrement « relative ». Élevage intensif, manque de soin, traitements cruels (comme le « mulesing », consistant à découper de la chair à vif sur les bêtes, sans soin, pour éviter l’infestation par les mouches à viande. Ne faites pas de recherche Google sans avoir bien compris de quoi il retourne, les images sont atroces)… N’oublions pas les chèvres, pour le cachemire et l’angora, les alpagas, le lapin angora (laine obtenue par épilation, extrêmement douloureuse quoi qu’en disent les exploitants)… Ces animaux sont souvent tués lorsque leur rentabilité baisse, et l’industrie de la viande se trouve alors très liée avec celle de la laine. Donc si la récolte de la laine n’est pas forcément douloureuse en tant que telle, n’oublions pas les conditions de vie des animaux qui nous permettent de l’obtenir.
– « Je veux tricoter des fibres animales éthiques ! » <- Question complexe, selon les conceptions de l’éthique de chacun·e. Et éthique d’accord, mais pour les animaux ou les gens (deux possibilités heureusement non mutuellement exclusives) ?
On peut en effet soutenir des petits exploitants français (ici aussi) ou de Mongolie1 en achetant leur laine, ou des causes humanitaires comme avec les femmes de de Manos del Uruguay, Be Sweet et les femmes d’Afrique du Sud2, ou Mango Moon et les Népalaises3. Ces programmes sont humainement formidables, et donnent une occasion aux femmes de s’émanciper dans des régions où leurs conditions de vie sont parfois déplorables.
Si la laine animale la plus éthique c’est celle qu’on peut faire chez soi, avec des animaux qu’on aime, garde jusqu’à leur belle mort et traite du mieux possible, c’est aussi la plus difficile à obtenir (un alpaga ne tient hélas pas sur ma terrasse). Certaines personnes font de la laine à partir des poils brossés de leur chiens et chats, mais cela demande de la patience, même si le résultat est superbe (comme on peut le voir avec ce châle en poils de Samoyede ! Il me faut un toutou poilu. Vraiment.). Il faut donc croire sur parole les petits élevages locaux, si possible, ce qui n’est pas toujours facile à trouver. Sur internet, on peut consulter les sites cités plus haut, mais aussi par exemple Thristle Cove Farm, ou the New Lanark organic wool spinners (qui vient également en aide à cette vieille ville d’Écosse). Je ne doute pas qu’il existe de nombreux petits exploitants français qui pourraient entrer dans cette catégorie, mais hélas, je ne les connais pas. N’hésitez pas à partager des liens !
– « Je ne veux pas exploiter les animaux, mais je n’ai pas beaucoup d’argent » <- On le sait, les produits marketés « bio », « écolo » et compagnie sont souvent gonflés au niveau du prix (sans que cela soit forcément justifié). Donc comment faire quand on a envie de profiter du plaisir du tricot sans se ruiner et sans faire de mal aux bêtes ?
On peut tricoter des accessoires avec des matériaux originaux, comme la simple ficelle. Pourquoi pas ? Un petit panier en ficelle tricotée, c’est tout à fait charmant. L’important, c’est d’avoir de l’imagination.
On peut également recycler. Ma grande passion ! Chez soi, on peut réutiliser des matières souples (comme je l’ai souvent vu pour les sacs en plastique) pour fabriquer toutes sortes d’accessoires, ou ses propres vêtements. Si les marques comme Hoooked font fortune avec le Zpagetti en recyclant les chutes de tissus issus de l’industrie et en les vendant à prix d’or (au moins), il est tout à fait possible de faire pareil avec ses vieux t-shirts ! Un tuto ici vous expliquera clairement comment faire. Certes, on est plutôt dans le crochet et les accessoires pour la maison (impossible de se faire un pull avec ça…), mais c’est parfaitement ludique et écofriendly, surtout dans un monde où on jette ses vêtements à chaque nouvelle saison. Et on peut utiliser d’autres pièces de tissu, comme un vieux drap en flanelle (Un drap = un tapis tout neuf pour ma salle de bain, confortable et moelleux. La perfection). Il vaut mieux utiliser des matières simples comme le pur coton et le jersey, les tissus synthétiques risquent de s’effilocher. On peut aussi trouver des fils plus classiques en vêtements recyclés, qui peuvent devenir de nouveaux vêtements, comme la laine de RSK Greenshop, les multiples laines recyclées de Bergere de France, la Ekos de Katia ou la Recymix de chez Plassard. Attention, des fibres animales entrent parfois dans la composition. Si vous refusez totalement d’utilisez de telles fibres, même recyclées, vérifiez au cas par cas ce qu’indique l’étiquette ! Notons aussi que certaines marques, comme Be Sweet évoquée plus haut, produisent4 des fils issus du recyclage, illustrant ainsi parfaitement l’intersection des différents critères moraux. La filature Fonty propose également des pelotes issues du recyclage de saris indiens (en fil, en bande ou en bande d’un autre type). Acheter du fil recyclé, c’est aussi encourager les marques à en produire plus ! Une bonne façon de s’inscrire facilement dans une logique de développement durable. Enfin, on peut tout bêtement récupérer le fil de vieux pulls dont on aime plus la forme, par exemple.
On peut, d’autre part, utiliser des fibres synthétiques (acrylique, polyamide…). Bon marché, elles sont issues de l’industrie pétrochimique. Ces laines sont généralement douces et souples, faciles à trouver, bref un moyen accessible de s’adonner à son petit plaisir sans faire souffrir les bêtes. Attention, je ne dis pas que c’est une solution parfaite, mais dans le cadre de notre profil, leur utilisation est compréhensible.
Enfin, on peut utiliser du coton. On trouve facilement des pelotes 100 % coton bon marché, de quoi tricoter sans trop culpabiliser. Un produit biodégradable (contrairement aux fibres synthétiques) et sans souffrance animale, un must quand notre budget fond.
– « Je ne veux utiliser que des fibres végétales, c’est ma seule exigence ! » <- nous avons donc évoqué le coton, mais il existe bien d’autres fibres végétales ! Au nombre des fibres les plus courantes, on peut compter le chanvre, le lin (Pur, comme ici) ou le bambou, souvent mélangés dans des proportions variables (Comme la Linda de Woll Butt ou la Linen de Katia, le fil Phil Rustique de Phildar, ou encore le fil Ambre de Cheval Blanc, bambou-coton ). N’oublions pas des fibres plus exotiques, comme la fibre de banane ou de soja. Les possibilités sont presque infinies !
Tout cela est bien beau, et on a presque l’impression qu’on peut facilement trouver des produits parfaitement écofriendly -parce que- végétaux. Mais hélas, c’est un peu plus compliqué que ça…
– « Je veux des produits 100% végétaux et parfaitement écofriendly. » <- Et voici maintenant le profil le plus complexe. Pourquoi ? On va éviter certes les fibres animales et synthétiques (ces dernières sont présentent dans beaucoup de fils végétaux pour ajouter, par exemple, de l’élasticité), mais également être regardant sur les fibres végétales classiques. En effet, la culture du coton, par exemple, est extrêmement polluante, et consommatrice d’eau. La viscose du bambou est réputée pour être produite à l’aide de produits très polluants, et les fibres issues du soja ou du maïs viennent souvent de restes des cultures OGM. Mais alors, me direz-vous, que reste-t-il à la fin ? Le champ des possibilités est certes devenu un jardinet, mais tout n’est pas perdu. Tout d’abord, parce qu’on peut faire très attention et choisir des fibres effectivement bio parmi celles déjà citées (Le coton bio est maintenant assez simple à se procurer, comme le fil 15 de chez Peace and Wool, ou même chez Bergere de France avec leur fil 100% coton bio).
Le lin et le chanvre sont, quant à eux, des plantes faciles à cultiver dans un environnement comme le nôtre, et ont un faible impact écologique. De plus, grâce à une production locale, on limite aussi la pollution due au transport (On trouve du fil en 100 % chanvre chez Lang Yarns, ou ce splendide fil 100 % lin, à des prix très abordables). D’autres fibres, comme la banane, peuvent être fabriquées en limitant leur impact écologique Plus original, l’ortie se tricote, elle aussi. Et n’imaginez pas que « ces écolos sont prêts à inventer n’importe quoi » : au Moyen-âge en France (et sans doute bien avant), on filait déjà l’ortie. Enfin, le Lyocell est réputé réutiliser 98 % des produits (essentiellement non-toxiques) utilisés lors de sa fabrication, minimisant au maximum son impact écologique.
Le confort de ces différentes fibres est, cependant, difficile à estimer. Certains fils sont proches de la cordelette, surtout en cas d’utilisation de la fibre pure, d’autres travaillés pour être utilisés en vêtements. Il faut voir au cas par cas, selon l’utilisation souhaitée. De plus, certaines matières (notamment le chanvre et le lin) sont réputées offrir une bonne isolation, et donc un très bon confort thermique en hiver.
En résumé : quelle laine acheter ? Faut-il se vêtir uniquement de lin ? Le but de cet article n’est pas de culpabiliser et/ou reprocher l’utilisation de différents types de fils (bon, ok, à part peut-être le vison… Désolée, il y a des limites). J’ai tenté ici de proposer à chacun, selon ses codes moraux et ses moyens, des matières/fibres qui lui correspondent, et ce, sans jugement. Je trouvais simplement important de montrer que, selon notre « profil », on trouvera toujours quelque chose à tricoter, même quand on est particulièrement exigeant ! Hélas, certaines personnes ne savent tout simplement pas qu’il y a tant de possibilités, et refusent de s’intéresser au tricot par refus d’exploiter les animaux. J’espère que vous êtes maintenant convaincus que c’est un loisir qui peut être tout à fait respectueux de leurs vies, et également de l’environnement. J’espère que vous oserez maintenant vous lancer !
1Le site peut sembler mort mais le fil existe toujours, par exemple chez Fonty.
2La marque ne semble plus exister, alors j’ai trouvé cet ancien article de blog qui en parlait.
3Le site ayant là aussi disparu, je ne sais pas si cette information est toujours d’actualité. On peut en voir des traces sur des sites marchands comme celui que je link dans l’article.
4Plus maintenant, visiblement, ce qui est dommage.